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Extrait

Poggio Bracciolini, sauveur de livres oubliés ?

Poggio Bracciolini, Lettre du 16 décembre 1416 à Guarino de Vérone
Poggio Bracciolini, humaniste toscan, est l’un des principaux « chasseurs de manuscrits » du premier humanisme. Il aime à mettre en scène dans ses lettres ses découvertes les plus remarquables, non sans prendre quelques libertés littéraires avec la réalité.
Dans cet extrait, il confie à son ami, le pédagogue Guarino de Vérone, la joie qu’il a éprouvée à la découverte d’un volume complet de l’Institution oratoire de Quintilien au monastère de Saint-Gall, en Suisse.

Cet homme brillant, raffiné, élégant, tellement civilisé, tellement fin, il ne fait aucun doute qu’il n’aurait pu supporter plus longtemps l’horreur de ce cachot, la crasse de l’endroit, la barbarie des geôliers. Triste et vêtu lamentablement comme le sont les condamnés à mort, il avait la barbe inculte et les cheveux collés par la poussière, de sorte que son aspect et sa tenue l’auraient dit condamné à une injuste sentence. Il semblait tendre les mains, appeler au secours pour être sauvé de ce jugement inique. […] La chance voulut pour lui, mais plus encore pour nous, que, nous trouvant désœuvrés à Constance, l’envie nous vint de visiter cet endroit où il était tenu enfermé. Il s’agit, à vingt milles de cette ville, du monastère de Saint-Gall. […] Là, au milieu d’un amas innombrable de livres qu’il serait trop long d’énumérer, nous découvrîmes Quintilien encore sain et sauf, bien que tout moisi et couvert de poussière. Car ces livres ne se trouvaient pas à la bibliothèque, comme leur qualité l’eût exigé, mais dans l’obscurité du plus immonde cachot.

Neque enim dubium est virum splendidum, mundum, elegantem, plenum moribus, plenum facetiis, feditatem illius carceris, squalorem loci, custodum sevitiam diutius perpeti non potuisse. Mestus quidem ipse erat ac sordidatus tanquam mortis rei solebant, squalentem barbam gerens et concretos pulvere crines, ut ipso vultu atque habitu fateretur ad immeritam sententiam se vocari. Videbatur manus tendere, implorare Quiritum fidem, ut se ab iniquo iudicio tuerentur, […] Fortuna quedam fuit cum sua, tum maxime nostra, ut cum essemus Constantie otiosi, cupido incesseret videndi eius loci quo ille reclusus tenebatur. Est autem monasterium Sancti Galli prope urbem hanc milibus passuum XX. […] Ibi inter confertissimam librorum copiam quos longum esset recensere, Quintilianum comperimus adhuc salvum et incolumem, plenum tamen situ et pulvere squalentem. Erant enim non in bibliotheca libri illi, ut eorum dignitas postulabat, sed in teterrimo quodam et obscuro carcere.

Poggio Bracciolini, Epistolarum familiarium libri, IV, 5, éd. Helene Harth, Florence : L. S. Olschki, 1984-1987, t. II, p. 155. Traduction française : Jean-Marc Châtelain.
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