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Extrait

« Vous avez de l’argent caché ? »

Molière, L’Avare, Acte I, scène 3

HARPAGON
Hors d’ici tout à l’heure, et qu’on ne réplique pas. Allons, que l’on détale de chez moi, maître juré filou ; vrai gibier de potence.

LA FLÈCHE
Je n’ai jamais rien vu de si méchant que ce maudit vieillard ; et je pense, sauf correction, qu’il a le diable au corps.

HARPAGON
Tu murmures entre tes dents.

LA FLÈCHE
Pourquoi me chassez-vous ?

HARPAGON
C’est bien à toi, pendard ; à me demander des raisons : sors vite, que je ne t’assomme.

LA FLÈCHE
Qu’est-ce que je vous ai fait ?

HARPAGON
Tu m’as fait, que je veux que tu sortes.

LA FLÈCHE
Mon maître, votre fils, m’a donné ordre de l’attendre.

HARPAGON
Va-t’en l’attendre dans la rue, et ne sois point dans ma maison planté tout droit comme un piquet, à observer ce qui se passe, et faire ton profit de tout. Je ne veux point avoir sans cesse devant moi un espion de mes affaires ; un traître, dont les yeux maudits assiègent toutes mes actions, dévorent ce que je possède, et furètent de tous côtés pour voir s’il n’y a rien à voler.

LA FLÈCHE
Comment diantre voulez-vous qu’on fasse pour vous voler ? Êtes-vous un homme volable, quand vous renfermez toutes choses, et faites sentinelle jour et nuit ?

HARPAGON
Je veux renfermer ce que bon me semble, et faire sentinelle comme il me plaît. Ne voilà pas de mes mouchards, qui prennent garde à ce qu’on fait ? Je tremble qu’il n’ait soupçonné quelque chose de mon argent. Ne serais-tu point homme à aller faire courir le bruit que j’ai chez moi de l’argent caché ?

LA FLÈCHE
Vous avez de l’argent caché ?

HARPAGON 
Non, coquin, je ne dis pas cela. (À part.) J’enrage. Je demande si malicieusement tu n’irais point faire courir le bruit que j’en ai.

LA FLÈCHE
Hé que nous importe que vous en ayez, ou que vous n’en ayez pas, si c’est pour nous la même chose ?

HARPAGON
Tu fais le raisonneur ; je te baillerai de ce raisonnement-ci par les oreilles. (Il lève la main pour lui donner un soufflet.) Sors d’ici encore une fois.

LA FLÈCHE
Hé bien, je sors.

HARPAGON
Attends. Ne m’emportes-tu rien ?

LA FLÈCHE
Que vous emporterais-je ?

HARPAGON
Viens çà, que je voie. Montre-moi tes mains.

LA FLÈCHE
Les voilà.

HARPAGON
Les autres.

LA FLÈCHE
Les autres ?

HARPAGON
Oui.

LA FLÈCHE
Les voilà.

Molière, L’Avare, Acte I, scène 3
Paris : Hachette et Cie, 1901
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