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Anthologie

Antony dans le texte

Amour et conventions sociales

Alexandre Dumas, Anthony, acte II, scène 4, 1831
Guéri de son accident, Antony s’apprête à partir de chez Adèle qui l’a soigné. Avant de la quitter, il lui raconte les préjugés auxquels il a été confronté à cause de son origine sociale.

ADÈLE. Antony, le monde a ses lois, la société ses exigences ; qu’elles soient des devoirs ou des préjugés, les hommes les ont faites telles, et, eussé-je le désir de m’y soustraire, qu’il faudrait encore que je les acceptasse.
 
ANTONY. Et pourquoi les accepterais-je, moi ?… Pas un de ceux qui les ont faites ne peut se vanter de m’avoir épargné une peine ou rendu un service ; non, grâce au ciel, je n’ai reçu d’eux qu’injustice, et ne leur dois que haine… Je me détesterais du jour où un homme me forcerait à l’aimer… Ceux à qui j’ai confié mon secret ont reversé sur mon front la faute de ma mère… Pauvre mère !… ils ont dit : Malheur à toi, qui n’as pas de parents !… Ceux auxquels je l’ai caché ont calomnié ma vie… ils ont dit : Honte à toi, qui ne peux pas avouer à la face de la société d’où te vient ta fortune !… Ces deux mots, honte et malheur, se sont attachés à moi comme deux mauvais génies… J’ai voulu forcer les préjugés à céder devant l’éducation… arts, langues, science, j’ai tout étudié, tout appris… Insensé que j’étais d’élargir mon cœur pour que le désespoir pût y tenir ! Dons naturels ou sciences acquises, tout s’effaça devant la tache de ma naissance ; les carrières ouvertes aux hommes les plus médiocres se fermèrent devant moi ; il fallait dire mon nom, et je n’avais pas de nom. Oh ! que ne suis-je né pauvre et resté ignorant, perdu dans le peuple ! je n’y aurais pas été poursuivi par les préjugés ; plus ils se rapprochent de la terre plus ils diminuent, jusqu’à ce que trois pieds au-dessous ils disparaissent tout à fait.
 
ADÈLE. Oui, oui, je comprends… Oh ! Plaignez-vous ! Plaignez-vous !… car ce n’est qu’avec moi que vous pouvez vous plaindre !
 
ANTONY. Je vous vis, je vous aimai ; le rêve de l’amour succéda à celui de l’ambition et de la science ; je me cramponnai à la vie, je me jetai dans l’avenir, pressé que j’étais d’oublier le passé… Je fus heureux… quelques jours… les seuls de ma vie… merci, ange ! car c’est à vous que je dois cet éclair de bonheur, que je n’eusse pas connu sans vous…

Alexandre Dumas, Anthony, Marchant, Paris, 1857, p. 11.

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Le dénouement

Alexandre Dumas, Anthony, acte V, scènes 3 et 4, 1831
Pour sauver la réputation d’Adèle, qui s’est compromise avec lui, Antony la tue en faisant croire que la jeune femme se refusait à lui.

Scène III. Adèle, Antony.
 
ADÈLE. Oh oui ! cette mort avec toi, l’éternité dans tes bras… Oh ! ce serait le ciel, si ma mémoire pouvait mourir avec moi… Mais, comprends-tu, Antony ?… cette mémoire, elle restera vivante aux cœurs de tous ceux qui nous ont connus… on demandera compte à ma fille de ma vie et de ma mort… On lui dira : Ta mère… elle a cru qu’un nom taché se lavait avec du sang… enfant, ta mère s’est trompée, son nom est à jamais déshonoré, flétri ! et toi, toi… tu portes le nom de ta mère… On lui dira : elle a cru fuir la honte en mourant… et elle est morte dans les bras de l’homme à qui elle devait sa honte ; et, si elle veut nier, on lèvera la pierre de notre tombeau, et l’on dira : Regarde… les voilà !
 
ANTONY. Oh ! nous sommes donc maudits ! ni vivre ni mourir enfin !
 
ADÈLE. Oui… oui, je dois mourir seule… tu le vois, tu me perds ici sans espoir de me sauver… tu ne peux plus qu’une chose pour moi… va-t’en, au nom du ciel, va-t’en !
 
[…]
 
ADÈLE. On monte l’escalier… on sonne… C’est lui… fuis, fuis !
 
ANTONY, fermant la porte. Eh ! je ne veux pas fuir, moi… Écoute… tu disais tout à l’heure que tu ne craignais pas la mort.
 
ADÈLE. Non, non… Oh ! tue-moi, par pitié !
 
ANTONY. Une mort qui sauverait ta réputation, celle de ta fille ?
 
ADÈLE. Je la demanderais à genoux.
 
Une voix, au dehors.
Ouvrez… Ouvrez… Enfoncez cette porte…
 
ANTONY. Et à ton dernier soupir tu ne haïrais pas ton assassin ?
 
ADÈLE. Je le bénirais… mais hâte-toi… cette porte…
 
ANTONY. Ne crains rien… la mort sera ici avant lui… Mais songes-y, la mort !
 
ADÈLE. Je la demande, je la veux, je l’implore. — (Se jetant dans ses bras.) Je viens la chercher.
 
ANTONY, lui donne un baiser.
Eh bien ! meurs !
(Il la poignarde.)
 
ADÈLE, tombant dans un fauteuil. Ah !…
(Au même moment la porte du fond s’enfonce ; le colonel d’Hervey se précipite sur le théâtre.)
 
Scène IV. Le Colonel d’Hervey, Antony, Adèle, plusieurs domestiques.
 
LE COLONEL. Infâme !… que vois-je ?… Adèle !… morte !…
 
ANTONY. Oui ! Morte ! Elle me résistait, je l’ai assassinée !…
(Il jette son poignard aux pieds du colonel.)

Alexandre Dumas, Anthony, Marchant, Paris, 1857, p. 25-26.

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