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Anthologie

Ruy Blas dans le texte

Aujourd'hui je suis reine. Autrefois j'étais libre.
Acte II, Scène I

Victor Hugo, Ruy Blas, 1838
Texte intégral dans Gallica : Leipzig, Brockhaus et Avenarius, 1838

L’acte II développe l’intrigue entre Ruy Blas et la reine, que l’amour éperdu de ce nouveau Grand d’Espagne détourne de son profond ennui à la cour. La rêverie mélancolique de la reine – d’origine allemande – introduit une pause poétique propice à la couleur locale.
 
LA REINE, Elle s'éloigne un peu de Casilda et retombe dans sa rêverie.
Que ne suis-je encor, moi qui crains tons ces grands,
Dans ma bonne Allemagne avec mes bons parents !
Comme, ma sœur et moi, nous courions dans les herbes !
Et puis des paysans passaient traînant des gerbes ;
Nous leur parlions. C'était charmant. Hélas ! un soir,
Un homme vint, qui dit : – Il était tout en noir.
Je tenais par la main ma sœur, douce compagne. 
« Madame, vous allez être reine d'Espagne. »
Mon père était joyeux et ma mère pleurait.
Ils pleurent tous les deux à présent. – En secret
Je vais faire envoyer cette boîte à mon père,
Il sera bien content.  Vois, tout me désespère.
Mes oiseaux d'Allemagne, ils sont tous morts ;

Casilda fait le signe de tordre le cou à des oiseaux, en regardant de travers la camerera.

Et puis
On m'empêche d'avoir des fleurs de mon pays.
Jamais à mon oreille un mot d'amour ne vibre.
Aujourd'hui je suis reine. Autrefois j'étais libre !
Comme tu dis, ce parc est bien triste le soir,
Et les murs sont si hauts qu'ils empêchent de voir,
– Oh ! l'ennui ! –

On entend au dehors un chant éloigné.

Qu'est ce bruit ?

CASILDA. Ce sont les lavandières
Qui passent en chantant, là-bas, dans les bruyères.

Le chant se rapproche. On distingue les paroles. La reine écoute avidement.

VOIX DU DEHORS.
A quoi bon entendre
Les oiseaux des bois ?
L'oiseau le plus tendre
Chante dans ta voix.

Que Dieu montre ou voile
Les astres des cieux !
La plus pure étoile
Brille dans tes yeux.

Qu'Avril renouvelle
Le jardin en fleur !
La fleur la plus belle
Fleurit dans ton cœur.

Cet oiseau de flamme,
Cet astre du jour,
Cette fleur de l'âme
S'appelle l'amour !

Les voix décroissent et s'éloignent.

LA REINE, rêveuse.

L'amour ! – Oui, celles-là sont heureuses. – Leur voix,
Leur chant me fait du mal et du bien à la fois.

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Bon appétit ! messieurs !
Acte III, Scène II

Victor Hugo, Ruy Blas, 1838
Texte intégral dans Gallica : Leipzig, Brockhaus et Avenarius, 1838

L’acte III présente l’ascension fulgurante de Ruy Blas qui, devenu Premier ministre pour avoir agréé le couple royal, se décide à opérer un tour de force politique, aussi bien que dramatique et rhétorique du reste. Le ministre dénonce avec truculence, entre sublime et grotesque, les excès et les crimes des Grands. C’est la fameuse tirade du « Bon appétit ! messieurs ! » qui fait, encore aujourd’hui, la fortune de la pièce.
 
RUY BLAS, survenant.
Bon appétit ! messieurs ! 
Tous se retournent. Silence de surprise et d'inquiétude, Ruy Blas se couvre, croise les bras, et poursuit en les regardant en face.
O ministres intègres !
Conseillers vertueux ! voilà votre façon
De servir, serviteurs qui pillez la maison !
Donc vous n'avez pas honte et vous choisissez l'heure,
L'heure sombre où l'Espagne agonisante pleure !
Donc vous n'avez ici pas d'autres intérêts
Que d'emplir votre poche et vous enfuir après !
Soyez flétris, devant votre pays qui tombe,
Fossoyeurs qui venez le voler dans sa tombe ! […]

Et vous osez !... – Messieurs, en vingt ans, songez-y,
Le peuple, – j'en ai fait le compte, et c'est ainsi ! 
Portant sa charge énorme et sous laquelle il ploie,
Pour vous, pour vos plaisirs, pour vos filles de joie,
Le peuple misérable, et qu'on pressure encor,
A sué quatre cent trente millions d'or !
Et ce n'est pas assez ! et vous voulez, mes maîtres !... 
Ah ! j'ai honte pour vous ! – Au-dedans, routiers, reitres,
Vont battant le pays et brûlant la moisson.
L'escopette est braquée au coin de tout buisson.
Comme si c'était peu de la guerre des princes,
Guerre entre les couvents, guerre entre les provinces,
Tous voulant dévorer leur voisin éperdu,
Morsures d'affamés sur un vaisseau perdu !
Notre église en ruine est pleine de couleuvres ;
L'herbe y croît. Quant aux grands, des aïeux, mais pas d’œuvres.
Tout se fait par intrigue et rien par loyauté.
L'Espagne est un égout où vient l'impureté

De toute nation. – Tout seigneur à ses gages
À cent coupejarrets qui parlent cent langages. »

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Vous me maudissez, et moi je vous bénis.
Acte V, Scène IV

Victor Hugo, Ruy Blas, 1838

À la fin de l’acte V, Ruy Blas et la reine sont acculés par Salluste dont le piège se referme sur eux. Ruy Blas révèle son identité à la reine et tue Salluste avant d’avaler du poison. La Reine reconnaît en lui l’homme qu’il a toujours été et lui pardonne son double jeu, mais il est trop tard.
 
LA REINE. Que voulez-vous ?

RUY BLAS, joignant les mains. Que vous me pardonniez, madame !

LA REINE. Jamais. 

RUY BLAS. Jamais !
Il se lève et marche lentement vers la table.
Bien sûr ?

LA REINE. Non, jamais !

RUY BLAS. Il prend la fiole posée sur la table, la porte à ses lèvres et la vide d'un trait. Triste flamme,
Éteins-toi !

LA REINE, se levant et courant à lui. Que fait-il ?

RUY BLAS, posant la fiole. Rien. Mes maux sont finis.
Rien. Vous me maudissez, et moi je vous bénis.
Voilà tout.

LA REINE, éperdue. Don César !

RUY BLAS. Quand je pense, pauvre ange,
Que vous m'avez aimé  !

LA REINE. Quel est ce philtre étrange ?
Qu'avez-vous fait ? Dis-moi ! réponds-moi ! parle-moi !
César ! je te pardonne et t'aime et je te croi !

RUY BLAS. Je m'appelle Ruy Blas.

LA REINE, l'entourant de ses bras. Ruy Blas, je vous pardonne !
Mais qu'avez-vous fait là ? Parle, je te l'ordonne !
Ce n'est pas du poison, cette affreuse liqueur  ?
Dis ?

RUY BLAS. Si ! c'est du poison. Mais j'ai la joie au cœur.
Tenant la reine embrassée et levant les yeux au ciel.
Permettez, ô mon Dieu ! justice souveraine !
Que ce pauvre laquais bénisse cette reine,
Car elle a consolé mon cœur crucifié,
Vivant, par son amour, mourant, par sa pitié !

LA REINE. Du poison ! Dieu ! c'est moi qui l'ai tué ! Je t'aime !
Si j'avais pardonné ?

RUY BLAS, défaillant. J'aurais agi de même.
Sa voix s'éteint, la reine le soutient dans ses bras.
Je ne pouvais plus vivre. Adieu !...
Montrant la porte.
Fuyez d'ici !
– Tout restera secret. – Je meurs !
Il tombe.

LA REINE, se jetant sur son corps. Ruy Blas !

RUY BLAS, qui allait mourir, se réveille à son nom prononcé par la reine. Merci !

FIN.

 

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