Du cinéma au stade : les sports et la fiction






Si les origines du football, de l'équitation ou du tennis remontent à une histoire déjà ancienne, d'autres sports sont nés plus récemment et sont considérés de ce fait comme marginaux ou alternatifs. Parfois inspirés par des œuvres de fiction, romans ou films, ils peuvent eux-même être source d'inspiration pour des réalisateurs. Ils représentent en effet les aspirations d'une jeunesse en quête d'identité, de plaisir, de rêve ou de rébellion face à des institutions sportives souvent très règlementées. Cela n'empêche pas l'élaboration progressive des cadres, de règles et de fédérations...
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Quidditch
Le quidditch ? Vous connaissez cette pratique sportive même si ce nom ne vous évoque rien : c’est le sport de Harry Potter.
Initialement inventé pour les besoins de la fiction, le quidditch mélange des éléments de plusieurs activités physiques bien connues (cricket, handball, rugby…), aménagées pour un cadre magique. Il se joue sur balais volants et une partie des balles (le vif d’or et les cognards) est douée d’autonomie.
Ce sport sorcier n’est cependant pas resté une production littéraire ou cinématographique. Au début des années 2000, des étudiants de l’Université de Middelbury ont décidé de s’y essayer : comme dans la fiction, les anneaux forment les buts et quatre ballons sont sur le terrain. La pratique prend rapidement son essor : il est désormais possible de jouer au quidditch du Canada à l’Australie, en passant par la Malaisie, l’Espagne ou l’Ouganda. Les joueurs font partie d’une communauté qui dépasse les frontières nationales, et championnats continentaux comme coupes du monde favorisent les rencontres.
Devenu au fil des ans un « vrai sport », avec ses règles et son matériel, le quidditch a parallèlement abandonné certaines marques de la fiction : les balais ne sont plus des répliques du célèbre Nimbus 2000 et le nom consacré pour désigner ce sport physiquement exigeant est désormais celui de quadball. Toutefois, celui-ci demeure une pratique alternative en ce qu’il bouscule l’ordre sportif : seul sport collectif de contact mixte, le quadball intègre, dans ses règles, la reconnaissance de la non binarité du genre.
Livre : © Gallimard Jeunesse / J. K. Rowling / Emily Gravett
Photographie : Tom "Chiddy" Powers, Wikimedia Commons / CC BY 4.0
Arts martiaux historiques européens
Qui n’a jamais rêvé pouvoir voyager dans le passé et, l’espace d’un instant, devenir gladiateur, chevalier ou mousquetaire ?
Si le cinéma peut jouer avec les frontières temporelles et transporter les spectateurs dans d’autres époques, les duels et autres affrontements armés qui y sont présentés respectent rarement une cohérence historique. Par exemple, un combat à l’épée longue du 15e siècle ne ressemblait pas aux scènes « classiques » des films hollywoodiens. Les duellistes du Moyen Âge voyaient le combat s’achever en quelques secondes, grâce à un glissement de lame bien maîtrisé.
Pour contrer les stéréotypes relayés par le cinéma, les pratiquants d’Arts martiaux historiques européens (AMHE) tendent à retrouver des gestes, mouvements et situations motrices martiales appartenant au passé. Pour ce faire, à partir de la compréhension de sources primaires (traités, objets archéologiques, etc.), il s’agit d’expérimenter la mise en vie de techniques corporelles révolues. Une fois maîtrisé, l’enchaînement peut être testé à vitesse réelle, à l’aide de protections contemporaines.
Alliant sport et culture, les AMHE proposent une multitude de disciplines (lutte, rapière, épée, dague, bâton, etc.). Apparue à la fin des années 1990, cette activité dispose aujourd’hui de fédérations (nationales et internationale) et ses pratiquants défendent la dimension culturelle et patrimoniale des AMHE. Ces arts martiaux s’inscrivent en effet dans le champ de l’histoire vivante et se distinguent ainsi d’autres sports qui peuvent pourtant sembler proches, tel le béhourd (un sport d’affrontement en armures, empruntant à l’imaginaire guerrier et viril du Moyen Âge).
Estampe : Bibliothèque nationale de France
Photographie : © Fédération française des Arts martiaux historiques européens, 2024
Jugger
Le jugger est un sport inventé pour les besoins du film Le sang des héros (The Salute of the Jugger dans sa version originale), sorti sur les écrans en 1989. Cette fiction expose un univers post-apocalyptique, dans lequel le jugger est un sport-spectacle, pratiqué par des équipes qui s’affrontent pour de la nourriture, et leur survie.
Adapté au monde « réel » quelques années plus tard, en Allemagne, le jugger est un sport collectif mixte qui oppose deux équipes de cinq joueurs : quatre attaquants armés de pompfen (épée, bouclier, chaîne, etc.) et un coureur (le qwik) qui doit apporter le jugg (une balle) dans le but adverse. Ce sport se joue en plusieurs manches, rythmées par des battements qui ont lieu toutes les secondes et demie. Ce son scandé fait référence aux pierres lancées contre une tôle, dans la fiction. Il sert à compter le temps de pénalité pour les joueurs qui sont touchés (5 pierres pour une touche normale et 8 pour la chaîne).
En traversant l’écran, le jugger a fait l’objet d’adaptations. Si, dans le film, le jugg est un crâne de chien et les armes sont létales, c’est autour d'objets en mousse que les joueurs s’affrontent à présent sur le terrain. Par ailleurs, le jugger est un sport compétitif pratiqué dans plusieurs pays et qui est organisé en league. Bien que les principales règles fassent l’objet d’un consensus, des variantes nationales ou locales perdurent.
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Affiche : Collection Christophel © Kings Road Entertainment / Handistom Investment / Kamisha Corporation
Photographie : Flying juggmen Bonn
Roller derby
Vous souvenez-vous du film Rollerball ? Sortie en 1975, cette fiction se déroule dans un monde futuriste… en 2018.
Elle relate l’histoire d’une société prospère dont les membres se passionnent pour un spectacle particulier appelé Jeu de la mort. Ce jeu « testostéroné » (seuls les hommes peuvent pratiquer) est un savant mélange de motocyclette, de football américain mais également d’une discipline très connue des Américains : le roller derby. Créé en 1930, le roller derby est une course de vitesse mixte se pratiquant sur des patins à roulettes, au cours de laquelle tous les coups (ou presque) sont permis.
Tombé dans l’oubli à la fin des années 1970, le roller derby trouve un regain d’intérêt au début des années 2000 du côté des scènes musicales d’Austin, au Texas. Il réapparaît alors sous la forme d’un spectacle burlesque sur fond de musique punk-rock. Cette nouvelle version (par ailleurs désormais 100 % féminine) profite de la sortie sur grand écran du film Bliss (Whip it dans sa version originale) pour s’exporter bien au-delà des frontières nord-américaines. Des équipes françaises apparaissent ainsi dès 2009, composées de jeunes femmes séduites par ce modèle sportif et carnavalesque.
Si le roller derby se présente comme un sport exigeant, les équipes renouvellent les imaginaires associés traditionnellement au sport de compétition. En effet, par leurs logos, leurs mises en scènes ou encore les valeurs qu’elles revendiquent (l’inclusion des personnes LGBT, l’anti-racisme affiché), ces équipes entendent bien réinventer les codes du sport-spectacle traditionnel.
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Affiche : COLLECTION CHRISTOPHEL © Algonquin
Photographie : © Chloé Chauvet-Dubosq
Hobby horsing
Connaissez-vous le cheval-bâton ? Ces tiges de bois surmontées d’une tête de cheval en peluche permettant aux enfants de s’imaginer chevaucher une monture. Ce que vous savez probablement moins, c’est que cet objet phare de la culture enfantine fait l’objet depuis 2012 d’un véritable engouement du côté de la Finlande, jusqu’à prendre les traits d’un vrai sport. Des jeunes filles et des adolescentes se sont en effet réapproprié cet accessoire pour en faire le support d’une activité consistant à reproduire les concours équestres, comme le dressage ou les épreuves de saut. Il s’agit du hobby horsing.
Tandis que les jouets équins ont depuis longtemps rejoint la culture de masse, ils sont ici bien souvent fabriqués à la main, à l’aide notamment de morceaux de tissus rassemblés et cousus jusqu’à former une épaisse chaussette en forme de tête de cheval. Ils sont ensuite décorés et embellis selon le goût de leurs propriétaires.
Mais le hobby horsing est loin de se résumer à un passe-temps créatif individuel. En effet, il a généré autour de lui une véritable communauté de pratique qui entend bien défendre le caractère « sérieux » de la discipline. En 2017, le documentaire de Selma Vilhuen, Hobby Horse, enclenche la popularisation de l’activité qui va progressivement s’exporter en dehors des pays nordiques. Trois ans plus tard, la petite ville de Seinajoki en Finlande accueille la première édition de la Coupe du Monde de Hobby Horse qui voit s’affronter plus de 400 concurrentes.
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Affiche : COLLECTION CHRISTOPHEL © Tuffi FIlms / Bautafillm
Photographie : © Justine Voegelin
Parkour
Le parkour est une activité physique développée en France à partir des années 1990. Après la sortie du film Yamakasi sur les écrans en 2001, la France voit des dizaines d’individus se rassembler de part et d’autre du pays avec l’envie, eux aussi, de « jouer » avec la ville et de l’explorer différemment.
Inspiré du « parcours du combattant » de George Hébert, le parkour consiste en une forme de réappropriation de l’espace et repose sur le franchissement d’obstacles urbains (des murs, des barrières) ou naturels (des arbres, des pierres). L’objectif principal est de parvenir à effectuer un geste efficient, sans matériel ou aide extérieure.
Pour les traceurs (du nom des pratiquants de parkour), le co-apprentissage entre pairs prime sur les enjeux compétitifs. L’engagement du corps, la réalisation d’un geste spectaculaire et les rencontres sont autant d’éléments autour desquels la communauté évolue. L’exploration urbaine est dès lors génératrice de sensations fortes et vectrice de sociabilités.
Les premières années de l’activité sont marquées par son auto-organisation : le parkour est géré uniquement par les traceurs, pour les traceurs. L’activité s’est ensuite structurée en fédération et s’est développée à tel point qu’elle intéresse désormais les plus hautes instances sportives comme le CIO, ce qui n’est pas sans générer des tensions concernant l’identité d’une activité qui évoluait jusque-là loin des diktats du sport traditionnel.
Affiche : Collection Christophel © EuropaCorp / Leeloo Productions
Photographie : © Simon Greusard
Autrices : Orlane Messey, sociologue, docteure en STAPS ; Audrey Tuaillon Demésy, socio-anthropologue, professeure des universités en STAPS